chercheur, anthropologue, pédagogue

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Une sémiologie sans signe : Marcel Jousse et la linguistique de son temps

Pierre-Yves Testenoire est chercheur en sciences du langage à l’Université de la Sorbonne. Il s’est intéressé à l’œuvre de Marcel Jousse à la suite de ses recherches en histoire de la linguistique sur Antoine Meillet.

Il a publié un article sur Marcel Jousse dans un ouvrage collectif publié en 2019, et ce texte est désormais accessible sur le site des Archives ouvertes HAL.

Le grand mérite de cet article est de resituer le positionnement de Jousse en tant que chercheur vis-à-vis du champ des recherches en linguistique de son époque.
L’anthropologie linguistique de Marcel Jousse (1886-1961) se situe à la confluence de trois disciplines : la psychologie, l’ethnologie et la linguistique. Cet éclectisme disciplinaire est ce qui fait l’originalité de son projet scientifique : elle est typique d’un autodidacte, libéré des contraintes académiques par son statut de jésuite.

Pierre-Yves Testenoire a pu collecter de nombreuses citations dispersées à travers les transcriptions des cours de Jousse. Dans son enseignement, il faisait volontiers référence à d’autres chercheurs de son temps, pour les mettre en perspective avec son propre travail, ou pour exprimer sa reconnaissance à ceux qui l’ont influencé, mais aussi pour s’appuyer sur leur autorité afin de donner plus de crédit à ses thèses.

Au sein du paysage plus large des sciences du langage, on voit ainsi Jousse payant le prix de sa liberté académique par un fort isolement. Pierre-Yves Testenoire mentionne ainsi des courants de recherche contemporains que Jousse semble avoir ignoré et qui réciproquement n’ont pas connu ou reconnu son travail. Et d’autres auquel Jousse fait référence auprès de son auditoire, sans pour autant s’inscrire à leur suite sur le plan théorique, motivé par la recherche d’une reconnaissance en tant que chercheur, qui ne lui est pas acquise du fait de son statut hors-université.

On comprend que son projet scientifique, très personnel dans sa genèse, et développé de façon indépendante, garde aujourd’hui encore un caractère singulier, et donc difficile d’approche pour qui y cherche des cadres de référence connus dans les disciplines académiques : ses concepts, méthodes, et même modes de communication scientifique sont déroutants.

On peut faire l’hypothèse que Jousse tente le dialogue avec les chercheurs de son temps, mais en se situant en dehors de leur monde, un peu comme le ferait un ethnologue en mission. Il est en effet resté à Paris un indigène de la campagne sarthoise, partagé entre d’une part une impérieuse fidélité à lui-même, c’est-à-dire au milieu dont il est issu, et d’autre part sa vocation à faire connaître et comprendre dans le milieu intellectuel urbain la richesse du “paysannisme”. Ce concept, forgé à la manière d’un penseur anti-colonial comme Aimé Césaire l’a fait pour la “négritude”, entend ouvrir les yeux aux citadins alphabétisés à qui il s’adresse, au sujet des ressources insoupçonnées d’intelligence et de savoirs qui existent en dehors de leurs livres et de leurs écoles.

On peut ainsi mieux saisir la perspective de Jousse en (re)lisant ce qu’écrit à son sujet un des grands auteurs du mouvement de la négritude, Leopold Sedar Senghor, dans une lettre de 1968, alors qu’il accepte, à la création de la “Fondation Marcel Jousse”, de rejoindre son comité de parrainage (où l’on trouve fort peu d’universitaires) :

Je me suis toujours intéressé à Marcel Jousse que j’ai connu. Il m’a appris à aller à la racine des ethnies et partant, des hommes, à creuser jusqu’aux plus profondes couches géologiques de l’homme pour capter la source à son premier jaillissement…
Comme vous le savez, l’Anthropologie revêt de nos jours une importance particulière, singulièrement dans les pays en voie de développement. En effet, il y a là un riche champ d’expérience et de vastes perspectives de recherche en direction de la pensée de l’homme et de ses diverses formes d’expression…
Ceci pose, bien sûr, tout le problème de la Négritude dont le mode de pensée est la saisie du réel et du concret à travers l’image symbole et l’analogie.
A l’ère de l’atome et des vols spatiaux, les formes de pensée, particulièrement celles de l’Europe, sont en pleine crise. Cela, parce que le progrès de la technologie ne permet plus la sclérose et le vieillissement, mais pousse l’homme à faire resurgir du tréfonds de sa civilisation présente la source primordiale de vie et de mouvement.
Ce style nouveau inaugure l’avènement de la civilisation de l’universel qui sera l’apport commun de toutes les valeurs de cultures, sans distinction de race et de croyance.

Thomas Marshall

Conférences : L’anthropologie du geste au Mexique

[:fr]

Gabriel Bourdin, Anthropologue de l’Institut de recherches anthropologiques, à l’Université Nationale autonome de Mexico, est présent actuellement à Paris et va donner une série de conférences.

Attention : les dates ont été modifiées.

Dans le cadre de la Chaire Miguel Alemàn Valdès de la Sorbonne, Université Paris IV

Première conférence, mardi 7/05 de 17h à 19h : Anthropologie du corps chez les Mayas. Une étude anthropologique basée sur l’anthropologie du mimisme et du geste de Marcel Jousse en relation avec la tradition culturel mésoaméricaine (en espagnol).

Lieu : 15 rue de l’école de médecine, escalier B, 4e étage – métro Odéon

Seconde conférence, jeudi 09/05 de 14h30 à 16h30 : Les émotions dans la langue maya du Yucatan durant la période coloniale et la période contemporaine. Cette conférence (en espagnol) est destinée à étudier les relations entre le langage, le le corps, le mental et la société. La sémantique cognitive sera utilisée, ainsi que l’anthropologie du geste triphasé de Jousse.

Lieu : département des études ibériques, 31 rue Gay Lussac – métro Luxembourg

A l’initiative de l’Association Marcel Jousse

Mardi 14/05 de 19h30-21h30 : Il fera une présentation de ses prochaines publications et partagera sa perception de l’actualité de la pensée de Jousse, notamment dans le domaine de l’éducation et du dialogue entre les religions.

Lieu : 92 bis Bd du Montparnasse – 75014 Paris

Publications de Gabriel Bourdin à venir

La jungla antropológica. Una introducciòn a la antropología del gesto de Marcel Jousse

El estilo oral rítmico y mnemotécnico de los verbo-motores. Traduction en espagnol de l’œuvre de Marcel Jousse (1925), précédée d’un essai introductif.

[:]

Des vidéos de cours en espagnol sur l’anthropologie de Jousse

Gabriel Bourdin, professeur d’anthropologie à l’UNAM (Mexique), présente sur une nouvelle chaîne You Tube les cours qu’il a donné en 2018 à propos de la pensée de Jousse.

Le premier cours :

Les cours suivants :

16 de febrero 2018 / 23 de febrero 20182 de marzo 2018 / 16 de marzo 2018 / 6 de abril 20184 de mayo 2018 / 11 de mayo 2018 / 31 de agosto 2018

Un séjour en France du Pr Bourdin est en projet pour 2019.

Publication d’un nouveau recueil de textes de Jousse en anglais

Memory, Memorization and Memorizer. The Galilean Oral-Style Tradition and Its Traditionists

est édité par Cascade Books (Eugene, Oregon, USA) dans la collection Biblical Performance Criticism.

Il s’agit d’une sélection de textes du Professeur Marcel Jousse composée, traduite et commentée par Edgard Sienaert.

L’ouvrage est préfacé par Werner H. Kelber, professeur honoraire en études du Nouveau Testament à Rice University (Texas, USA).

Traduction du titre : « Mémoire,  mémorisation, et mémoriseurs – La tradition galiléenne de Style oral et ses traditionneurs »

Extraits de la 4ème de couverture

« Cet ouvrage traite de la parole orale. Il traite des paroles prononcées au 1er siècle de notre ère, et mises par écrit beaucoup plus tard, dans des textes qui ne faisaient que confirmer ce qui avait été dit et fait. »

« Dans ses travaux, Jousse répond en fait à la question fondamentale qu’il se pose à lui-même :

Comment l’être humain a t-il réussi, au milieu de tout ce qui a agité l’univers pendant des centaines et des centaines d’années, à conserver la mémoire précise de mots et de gestes transmis fidèlement de génération en génération, comme s’ils avaient été enregistrés ?

Dans toutes les sociétés de tradition orale, la tradition c’est la mémoire.

Ceci est encore plus vrai s’agissant de la Galilée ancienne car elle a réussi à mettre au point un procédé de mémorisation jamais égalé depuis.

L’ouvrage d’Edgard Sienaert apporte un éclairage précis sur la manière dont les paroles et les gestes de Iéshoua ont été “enregistrés” si parfaitement dans les mémoires, tant à l’intérieur de la Palestine qu’à l’extérieur jusqu’à finalement parvenir jusqu’à nous qui pouvons ainsi nous nourrir d’une “tradition orale parfaitement transcrite par écrit ».

L’acheter

L’association dispose de plusieurs exemplaires de cet ouvrage, mis en vente lors de la rencontre du 11 novembre 2018.

Retrouver le contenu original en français

Memory, memorization and memorizers” contient, en trois parties:

  • Les Dernières dictées

Il s’agit de notes prises sous la dictée de Jousse par Gabriel Baron, peu avant sa mort. Ce texte a été édité par l’Association Marcel Jousse suite au travail d’Edgard Sienaert à partir de ces manuscrits.

  • Quatre cours donnés à l’école des Hautes-Études :

La psychologie du milieu ethnique palestinien: Notes sur la transmission orale formulaire. (HE 14/11/1933)

Les sunergoi-targoumistes accompagnateurs de Shaoul. (HE 23/02/1937)

L’envoi par écrit des catéchismes de Shaoul. (HE 02/03/1937)

Le mashal palestinien de l’olivier sauvage. (HE 25/05/1937)

Judâhen, Judéen, Judaïste dans le milieu ethnique palestinien. Paris : Geuthner, 1946.

Père, Fils et Paraclet dans le milieu ethnique palestinien. Paris : Geuthner, 1941.

La manducation de la leçon dans le milieu ethnique palestinien. Paris : Geuthner, 1950.

Les formules targoumiques du “Pater” dans le milieu ethnique palestinien. Paris : Geuthner, 1944.

Qu’est-ce que le propre de l’Homme ?

Il a suffi d’orienter nos recherches vers la grande loi congénitale du mimisme pour qu’on s’aperçoive combien le mimisme humain est la faculté primordiale de l’homme. Ce n’est donc pas le langage – geste de la langue – qu’il va falloir étudier d’abord et dont il va falloir montrer la genèse, mais c’est le mimisme humain.

Pourquoi parlons-nous ? Je dirais que c’est normal, car lorsque nous redescendons au plus profond, nous voyons que nous mimons toutes choses, et que le langage oral n’est que le geste appauvri de la gesticulation globale.

Mais plus profonde question et non résolue encore est la suivante :
pourquoi l’enfant mime-t-il tout ? Pourquoi joue-t-il à tout ? Pourquoi a-t-il tant de mal à devenir le petit être empaillé que nous voulons faire de lui ? Pourquoi a-t-il trop et tant de mal, – et que même beaucoup ne peuvent pas y arriver, – à s’ajuster à ces algébrisations que nous lui imposons ? Pourquoi allons-nous trouver le geste qui toujours et partout reparaît ? Pourquoi les liturgies, pourquoi les traditions ? Pourquoi toutes ces fêtes où le geste joue le plus grand rôle ? Pourquoi les drapeaux ? Pourquoi ces décorations avec l’épée qui vient se poser sur l’épaule ? Pourquoi tous ces gestes sociaux ? Pourquoi cette politesse ? Pourquoi ces saluts ? Pourquoi enfin d’un bout du monde à l’autre le geste apparaît-il comme moyen d’intercommunication ?

C’est là le vrai problème et je n’ai pas eu la naïve prétention, l’an dernier, de vous le résoudre, mais vous voyez que c’est là, la grande loi humaine. « L’homme est le plus mimeur de tous les animaux. » Voilà le problème. Aristote l’avait déjà proposé et il faudra un jour que quelqu’un le résolve. Nous n’avons pu jusqu’ici en connaître la raison.

Extrait du cours du Professeur Marcel Jousse à l’École d’Anthropologie, le 6 novembre 1933.

Cet extrait est repris et commenté par Edgard Sienaert dans l’article « Le geste doit précéder la parole. De l’anthropologie du mimisme de Marcel Jousse » qu’il a publié dans la revue Degrés, n°171-172, automne-hiver 2017, Bruxelles.

Cet article est issu de l’intervention qui est visible en vidéo via cette page.

Jousse propose une méthodologie, pas des théories

S’approcher de l’anthropologie proposée par Jousse suppose de sortir de la posture habituelle du lecteur-élève face à l’auteur-théoricien. Ce n’est pas un auteur (de livres), c’est d’abord un enseignant * (de gestes). Il n’hésite pas dans ses cours à interpeller ses auditeurs, voire à se montrer provocateur, afin de secouer les habitudes de conformisme intellectuel.

* enseignant, au sens figuré et au sens propre : montrer (comme le fait l’enseigne d’un magasin)

Voici quelques orientations méthodologiques se dégageant de façon récurrente parmi ses cours.

1. Jousse ne veut pas de disciples : soyez vous-mêmes !

  • Seul Jousse peut vraiment comprendre Jousse
  • L’autorité de l’expérience personnelle
  • Prendre conscience de soi-même
  • Pas de disciples, mais des collaborateurs
  • Le professeur qui ne veut pas que vous pensiez comme lui
  • Un professeur qui veut être dépassé par ses élèves

2. Les choses avant les mots : revenir au réel

  • Se mettre en face des choses
  • Observer les faits
  • Vérifier les lois
  • Donner du réel, quoi qu’on en dise
  • Prendre conscience du réel, d’une façon vivante et d’une façon anthropologique

3. Désinfecter le vocabulaire, se défaire des fausses méthodes

  • La méthode de Pasteur pour étudier et manier le vivant
  • Se dégager des vieilles formules
  • Les fausses méthodes et les pseudo-problèmes : introduction au cours du 23 octobre 1940 à l’école des Hautes-Études
Le jour où vous me direz que vous êtes mes disciples, je considérerais cela comme une abdication de vous-mêmes, je veux que vous soyez les disciples du réel. Si je ne suis pas qu’un montreur de réel et si je m’impose à vous au lieu de réel, je ne serai qu’un déformateur et non pas le formateur comme je voudrais l’être ici.

Télécharger la compilation d’extraits de cours

Jouer et rejouer les sons de la nature

Nos yeux, oserais-je dire, nous rendent muet l’univers. Aveuglés par nos yeux, nous ne faisons plus attention au son des choses.

Si vous voulez vous en rendre compte, il y a une expérience très simple que vous pourrez faire pendant les vacances. Prenez un ami, curieux comme vous des choses psychologiques, bandez-vous les yeux, et demandez-lui qu’il vous conduise en forêt. Vous aurez là toute une révélation du monde sonore de la forêt. Vous n’avez jamais entendu ce que vous entendrez ce jour-là. C’est que votre regard vous disperse en temps ordinaire, vous regardez les choses, mais vous ne les écoutez pas.

Écoutez ! vous allez entendre votre pas qui donne un certain son sur les feuilles desséchées, sur les feuilles mortes, vous allez entendre le bruit que fait une branche qui se casse quand le bois est d’une telle espèce, le bruit que fait votre passage sur des feuilles de coudrier, qui sont à l’état de velours, le bruit que fait votre ami quand il passera sur des feuilles de chêne qui sont lisses et dures. Vous aurez là une immense révélation du bruit des choses.

Extrait du cours du Professeur Marcel Jousse à la Sorbonne le 26 janvier 1933 : “Le rejeu des gestes auriculaires”

Cette proposition d’expérience peut vous sembler amusante mais anodine. L’émission de radio ci-dessous montre que l’attention auditive à la nature peut devenir une passion très riche et même se transformer en activités professionnelles surprenantes.

A l’écoute des bruissements du monde et des chanteurs d’oiseaux

(émission “Le Temps d’un Bivouac” diffusée sur France Inter vendredi 6 juillet 2018)

Daniel Fiévet reçoit :

  • partie 1 : Boris Jollivet, audio-naturaliste
  • partie 2 (29’15) : Johnny Rasse et Jean Boucault, comédiens, imitateurs de chants d’oiseaux

D’un passage par le laboratoire de prise de conscience : Edgard Sienaert

Dans cette intervention au colloque “L’homme est mémoire” à Bordeaux (2014), Edgard Sienaert se livre à travers une sorte de biographie anthropologique, suivant l’invitation de Jousse à pratiquer le “laboratoire de prise de conscience”.

Suite à une introduction basée sur des citations de cours de Jousse, Edgard Sienaert retrace chronologiquement quelques unes de ses expériences significatives face aux langues et aux cultures, de son enfance en Belgique, jusqu’à l’Afrique du Sud et au Lesotho où il vit aujourd’hui.

Il les relie au mimisme humain décrit par Jousse, fondement d’une triple cohérence de l’humain avec lui-même, avec le cosmos, et des hommes entre eux… qui peut être menacée :

  • par le psychisme : séparation factice de l’humain entre corps et esprit ;
  • par l’algébrosisme : perte de contact du langage oral et écrit avec le monde ;
  • et par le racisme : perte de l’appartenance commune entre les hommes.

Il faut attendre un peu le chargement de la vidéo avant de pouvoir la visionner. Un lecteur Adobe Flash est nécessaire.

Si rien ne s’affiche ci-dessus, allez la voir directement depuis le site de l’Université Bordeaux Montaigne et essayez de cliquer sur LD en bas à droite (basse définition) au lieu de HD (haute définition).

Jean-Rémi Lapaire : un linguiste qui rejoint l’anthropologie du geste

Jean-Rémi Lapaire étudie et enseigne la linguistique anglaise et les études gestuelles à l’Université de Bordeaux.

Dans cette intervention au colloque “L’homme est mémoire” (2014), il nous présente différents exemples de gestes présents dans l’expression corporelle spontanée que nous avons lorsque nous communiquons avec autrui. Il retrace également les apports à ses recherches d’auteurs n’ayant pas connu les travaux de Jousse tels que Birdwhistel, Goffman, Malinowski. Il présente enfin ce qu’il retire de la pensée de Jousse dans sa pratique d’enseignant de l’anglais, en lien avec les travaux de James Asher, du phonéticien Dennis Fry, et de Kendon.

La vidéo sur le site de l’Université Bordeaux Montaigne

Psychologie de l’enseignement : Le contact avec l’auditeur individuel

 

Nous partageons ici la transcription du cours de Marcel Jousse à la Sorbonne, le 23 janvier 1936. C’est un cours émouvant et passionnant dans lequel il s’analyse lui-même en tant que professeur s’efforçant d’être réellement en relation avec son auditoire.

Il fait partie de la 6ème année de son enseignement libre à la Sorbonne, qui a pour thème général :

La Psychologie du Geste et la Psychologie de l’Enseignement

Les titres des cours précédents sont :

  1.  Mimisme humain et Psychologie de l’Enseignement
  2.  Le Sens des Mots et l’Expression individuelle
  3.  L’Action des Mots et la Déformation individuelle
  4.  L’Illusion de la “Communication” des Idées
  5.  La Sympathie intellectuelle de l’Auditeur

Télécharger le cours intégral

L’introduction :         De l’Auditeur collectif à l’Auditeur individuel

En préparant l’introduction à cette conférence, je n’ai pu m’empêcher de me souvenir de la première conférence que nous avons eue ici, il y a six ans, je me souviens que le long des grands vestibules de la Sorbonne, je ressentais une certaine émotion parce qu’aussi sûr soit-on du sujet qu’on doit enseigner, il y a un contact qui est toujours redoutable : c’est ce que nous avons appelé le contact collectif avec l’Auditeur.

C’est la première fois que l’homme se présente devant une Assemblée de professeurs et d’étudiants. Pendant les premières phrases qui doivent toujours constituer l’entrée en matière d’une leçon bien ordonnée, on voit en face de soi un peu ce qu’on aperçoit certains matins, lorsque, sur le haut d’une colline, on essaie de distinguer le paysage qui vous entoure. Il a une sorte de brouillard très fin, très délicat, irradiant la sympathie sans doute, mais du brouillard tout de même.

Et c’est un peu cela que vous avez senti, que nous avons tous senti (puisqu’ici, nous sommes presque tous des professeurs), c’est cela que nous tous senti en face de cet étrange assemblage de pensées humaines.

Rien n’est distinct. Quelles sont les lignes qui vont se dessiner dans ce paysage humain ? Nous n’en savons encore rien. Des nuances, sans doute, certaines ombres qui s’accentuent un peu, mais c’est tout.

Et puis, de cinq minutes en cinq minutes, de six minutes en dix minutes, ce brouillard bleu se fond, et nous voyons apparaître les contours des choses. Et quelquefois, tout se résout dans une grande limpidité du paysage environnant.

Depuis six ans que nous sommes ici, je pourrais dire que ce beau paysage d’un auditoire sympathique m’est apparu avec un tempo plus lent que pour cette sorte de limpidité de l’atmosphère qui enveloppe le paysage car les hommes sont beaucoup plus lents que les choses. On ne force pas l’entrée d’un être humain comme on déchire un brouillard physique.

C’est sur ce grand problème de la déchirure collective pour arriver à ce cœur à cœur (j’allais dire à cette « pensée à pensée »), que nous voudrions aujourd’hui faire porter notre analyse psychologique.

C’est un sujet très délicat. Je vous avoue que toute la journée j’y ai pensé avec une certaine angoisse. D’ordinaire, un sujet ne me fait pas peur. Soit en psychologie normale, soit en psychologie enfantine, soit en psychologie psychiatrique, je commence à sentir que mes doigts se sont un peu assouplis à cette extraordinaire souplesse des choses vivantes.

Et cependant aujourd’hui, je sens que le sujet est d’une délicatesse exquise, parce que là, nous n’allons plus avoir affaire à une collectivité mais à une individualité.

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