Marcel Jousse

chercheur, anthropologue, pédagogue

Sur les pas de Marcel Jousse (2014)

La mémoire, le geste et le vivant

Professeur à l’École d’Anthropologie, conférencier à la Sorbonne et à l’École Pratique des Hautes Études, Marcel JOUSSE (1886-1961) est connu pour sa théorie anthropologique du geste. Immergé dans le monde (cosmos) et en interaction constante avec les éléments, l’humain (anthropos) porte en lui la capacité innée et irrépressible, d’absorber et de rejouer le mouvement des êtres et des choses sous forme de gestes (vocaux, corporels, propositionnels, graphiques).

Ce film documentaire, réalisé par Jean-Claude CHEYSSIAL et produit scientifiquement par Jean-Rémi LAPAIRE (Université Bordeaux Montaigne), retrace le destin d’une figure forte et inclassable des sciences humaines françaises : du petit sarthois, élevé dans l’oralité des traditions rurales, au professeur remplissant les amphithéâtres ; du prêtre jésuite à l’officier d’artillerie ; des Araméens aux Amérindiens, nous suivons la vie et redécouvrons la méthode de Jousse. Quelles résonnances ses idées peuvent-elles avoir pour la science et le monde d’aujourd’hui ?

Une co-production : Université Bordeaux Montaigne & Association Marcel Jousse

Introduction au dossier Marcel Jousse de la revue Nunc n°25, Octobre 2011

A commander sur le site de la revue

Marcel Jousse. Pour une anthropologie autre.
Franck DAMOUR

Qui connaît encore Marcel Jousse ?

Il fait partie de ces éclipsés, méjugés ou ignorés pour certains, inconnus pour la plupart. Et pourtant, lorsqu’il est lu, Jousse laisse rarement indifférent. Comme le dit justement Bernard Baillaud, « il n’est pas une page de Marcel Jousse qui n’incite à lever la tête ».

Pourquoi Jousse provoque-t-il cela ? Car il part de l’expérience, il touche notre expérience. Prendre Jousse pour un théoricien de l’oralité, ou du mimisme, c’est faire fausse route, c’est prendre Jousse à l’envers. Car il ne s’agit pas de théorie, mais de science humaine vivante, d’anthropologie au sens plein du terme, dans toutes les dimensions de l’homme. Au point, à la fin, de lever la tête.

Marcel Jousse a été animé par une exigence de globalité de l’humain, non comme slogan (cela, tout le monde le fait), mais comme pratique : l’idée de geste résume cette globalité. Le geste comme manifestation de la globalité de l’homme. Celui du maçon, de l’aïkidoka, du sportif, du mot juste, ajusté du poète ou du professeur. Toute parole n’est qu’à la hauteur de sa densité charnelle.

Marcel Jousse représente la fin du discours. « Il faut une force scientifique pour remettre la vie dans cela et opérer une sorte de transfusion de sang, c’est-à-dire qu’il faut mettre dans le livre de la vie. » Tout tient dans cette phrase de Jousse. L’objectif : « mettre de la vie dans le livre ». C’est-à-dire nous sortir de l’emprise d’un écrit sclérosé, du bavardage théorique, du verbiage, pour redonner à la langue sa chair et à la chair sa langue, et, incidemment, faire à nouveau du livre ‒ mais cela peut être un film, une danse ou une liturgie ‒ une expression de la vie. Encharner la langue, tel est l’horizon qui aimante Nunc depuis bientôt dix ans et justifie son existence. La rencontre avec Marcel Jousse était inévitable.

Il s’agit ici de proposer un portrait vivant de ce penseur injustement méconnu, et des multiples facettes de son anthropologie. La méthode : « une force scientifique ». Car il s’agit de redonner à l’anthropologie son véritable statut de science, née de l’expérience du vivant, et non d’idéologie d’un scientifisme douteux car théorique et mortifère. Alors, avec Jousse, il s’agit d’une science du vivant, non des idées, non du discours, mais de la chair traversée de sens.

La gageure était de parvenir à faire entendre Jousse à travers un média – le texte écrit – qui n’est de toute évidence pas une entrée suffisante dans l’œuvre de Marcel Jousse, mais qui peut jouer un rôle de seuil. D’autant plus que Nunc espère être une revue différente par sa pratique différente de l’écrit : en effet, les contributions, quoiqu’étayées et référencées, se doivent de faire entendre une voix. Avons-nous relevé cette gageure ? En tout cas, la forme plurielle de la revue est une première piste que nous avons utilisée pleinement, à regarder la variété des horizons et des voix réunis ici.

Au cœur du dossier, il y a ces deux cours de Marcel Jousse car, pour reprendre une formule de Jean Sullivan, « Jousse exige le contact direct avec son écriture-parole ». Ces cours ont été choisis par Rémy Guérinel et Edgard Sienaert parmi des milliers de pages pour leur qualité à faire entrer dans la geste joussienne. Cette geste utilise un vocabulaire déroutant, nouveau pour dire nouvellement des choses que nos oreilles « algébrosées » ne savent plus entendre : pour l’expliciter, nous avons choisi, dans le lexique final, dans les notes de bas de page, de faire appel à Jousse lui-même, afin que d’obstacle ce vocabulaire devienne porte d’entrée.

Mais ces cours, il fallait aussi les replacer dans leur perspective tout à la fois intellectuelle, culturelle et spirituelle, ce que font en ouverture et clôture du dossier Haun Saussy et Bertrand Vergely.

Il fallait aussi les replacer dans la vie de Jousse, et nous avons sollicité Titus Jacquignon, qui prépare une thèse sur Jousse, pour poser les jalons de son aventure intellectuelle.

Le témoignage de Joseph Morlaâs, qui fut un collaborateur au long cours de Jousse, nous offre un portrait de l’intérieur.

Enfin, il est frappant que Marcel Jousse soit aujourd’hui lu et mobilisé par des personnes d’horizons les plus divers, soignants et poètes, philosophes et artisans, comédiens et pédagogues : la troisième partie du dossier donne la parole à certains d’entre eux.

Benoît Virole nous éclaire, à partir du cas des enfants sourds-muets, sur ce que Jousse apporte de nouveau (ou plutôt d’oublié) dans la compréhension du langage, en écho avec la proposition de rythmo-typographie, une mise par écrit d’une parole orale et gestuelle par Edgard Sinaert.

Celui-ci, à partir de son expérience de traducteur de Jousse en anglais, pointe la richesse des intuitions joussiennes dans un contexte interculturel.

Les passerelles entre Jousse et Paulhan (Bernard Baillaud), Claudel (Christine Rayroux) ou Merleau-Ponty (Natalie Depraz) nous rappellent l’apport de Jousse dans la prise en compte du corps comme geste vivant. D’autres aspects auraient pu être abordés, comme la musique ou l’adaptation technologique, mais aussi la théologie ou la danse, la place a manqué et il s’agissait sans doute de poser, avec d’autres, une pierre de plus sur le cairn joussien à l’orée du chemin.

Nous espérons donner à la fois le goût et des clefs pour redécouvrir un penseur majeur du XXe siècle, qui a tenté de défricher les voies d’une anthropologie dynamique qui prenne l’homme à sa racine.

Sommaire développé

AXIS MUNDI MARCEL JOUSSE. POUR UNE ANTHROPOLOGIE AUTRE
dossier dirigé par Rémy Guérinel, Edgard Sienaert et Franck Damour

Franck DAMOUR, Introduction (ci-dessus)

Haun SAUSSY, Non pour abolir, mais pour accomplir : les destinées de Marcel Jousse

  • Le commencement : Jousse dans le contexte polémique de la crise du modernisme, découlant de la critique historique des textes du Nouveau Testament (Alfred Loisy).
  • Jousse méthodologiste : quelle en est la portée générale ? Sa critique par Henri Meschonnic.
  • Les perspectives d’actualisation de la pensée joussienne avec les découvertes des neurosciences.

Titus JACQUIGNON, Marcel Jousse. Jalons pour un itinéraire biographique et intellectuel

  • Qu’est-ce qui explique l’éclipse de Marcel Jousse après sa mort ? Qu’est-ce qui justifie de le redécouvrir 50 ans plus tard ?
  • L’enfance paysanne, matrice de l’anthropologie du geste
  • Le prêtre, le combattant, le savant
  • Son séjour aux U.S.A. : la rencontre des Indiens et la vocation de l’anthropologie
  • L’enseignement des maîtres de Paris dans les années 1920
  • Triomphe à Rome devant l’Institut Biblique Pontifical, il reçoit le soutien de Pie XI
  • Son ascension de 1925 à 1939, puis son déclin à partir de la 2ème guerre mondiale

Joseph MORLAAS, Marcel Jousse : un maître

Fidèle collaborateur de Jousse, médecin psychiatre, il a mené des recherches sur l’apraxie. Dans ce témoignage publié initialement en 1977, le Dr Morlaâs raconte sa rencontre intellectuelle puis humaine avec le professeur Jousse. Il décrit le personnage, dont la façon d’être et de s’exprimer était en unité profonde avec la pensée scientifique. Il témoigne des réactions de Jousse en fonction de l’ouverture ou de la fermeture que ses travaux rencontrèrent dans différents milieux, laïcs ou religieux.

Edgard SIENAERT, Deux cours d’anthropologie de Marcel Jousse : une introduction

Aperçu des principaux thèmes de la pensée de Jousse et de sa terminologie, éclairée par des citations de ses cours.

N.B. : Contrairement à ce qui est écrit dans la revue, ces cours n’ont pas été pris en note par un simple auditeur mais par une sténotypiste professionnelle, ce qui en garantit la précision. Nous donnons ci-dessous le plan de ces cours, établi par Jousse comme support à son enseignement oral.

Marcel JOUSSE, Le retour aux gestes du composé humain – Laboratoire de rythmo-pédagogie, le 7 décembre 1938 : premier cours d’une année intitulée : « Le rythmo-catéchisme formulaire de Rabbi Iéshoua de Nazareth ».

Introduction : Laboratoire de mort et laboratoire de vie.

I. le composé humain

  1. La mort : séparation de l’âme d’avec le corps
  2. La vie : union de l’âme avec le corps
  3. Le vocabulaire a) vieux, maniant la mort et b) nouveau, maniant la vie

II. Les gestes du composé humain

  1. Le mimisme humain macroscopique ou microscopique
  2. Le geste interactionnel
  3. Le geste projeté hors de soi

III. Le retour aux gestes

  1. La paralysie par le livre
  2. La paralysie sociale
  3. L’anthropologie du mimisme

Conclusion : La formation de moi-même par le mimisme

Marcel JOUSSE, L’anthropologie et le mimographe – École d’Anthropologie, 10 décembre 1934

Introduction : La lutte contre la mort des mimèmes [l’oubli]

I. Prévision scientifique logique de l’agraphisme [la transmission sans écriture]

  1. Les rythmo-mimeurs
  2. Les rythmo-psalmodieurs
  3. La tradition vivante, stéréotypée, rythmique

II. Prévision scientifique logique du mimographisme [l’origine de l’écriture]

  1. Graphisme du mimodrame
  2. Graphisme successivé par phasage

III. Prévision scientifique logique du phonographisme [l’écriture alphabétique]

  1. Phonographisme initial
  2. Dégagement lent du phonographisme pur
  3. Persistance du mimographisme étymologique

Conclusion : Mimisme humain indéracinable

Erratum : p.49, paragraphe 2, trajectoire > mémoire

Edgard SIENAERT, La Plainte de Piet Draghoender : un exemple de rythmo-typographie

Présentation typographique adaptée du témoignage improvisé en style oral, d’un petit fermier métis d’Afrique du Sud, menacé d’expulsion par la politique d’apartheid.

Edgard SIENAERT, Traduire Jousse : quelques réflexions

Le traducteur en anglais des textes de Jousse fait état de l’itinéraire qui l’a conduit à réaliser cette entreprise difficile – en écho aux propos de Jousse lui-même sur la difficulté de traduire.

Christine RAYROUX, Dire Claudel ou parler Jousse ?

Claudel et Jousse se sont rencontrés, ils s’appréciaient mutuellement. Christine Rayroux, comédienne, a joué des textes de Claudel et a aussi interprété un cours de Marcel Jousse. Elle livre un témoignage sur ces deux expériences d’incarnation d’une parole puissante.

Bernard BAILLAUD, Sur la manducation de la parole de Jean Paulhan par Marcel Jousse et réciproquement ou Par quel bout les prendre

Jean Paulhan est un critique, écrivain, éditeur, qui a été comme Jousse élève de Pierre Janet. Il a ramené d’un séjour de 3 ans à Madagascar des poésies populaires, les Hain-tenys merinas, souvent mentionnées par Jousse. Un aperçu de ce qui les rapproche et de ce qui les distingue.

Benoît VIROLE, Un couteau au bord du signe

L’œuvre de Marcel Jousse devenue illisible, par rapport à la linguistique et à la sémiotique contemporaines. Un commentaire du cas clinique de Marie et Marthe Heurtin utilisé par Jousse. Réflexion sur la persistance dans l’Homme de l’originaire, à l’ère numérique.

Natalie DEPRAZ, Jousse et Merleau-Ponty : l’enfant en nous. Parole et mimisme

L’attention ouverte de l’enfant. L’enfant : être ce qu’il fait.
… une déprise de la division soi-autrui.
… la transformation de l’intersubjectivité par le mimisme … l’organicité du geste, une gesticulation positive

Michel DE CERTEAU, Une anthropologie du geste : Marcel Jousse

Note de lecture publiée dans la revue Études (1970, n° 332/05), accessible par le site de la BNF.

Bertrand VERGELY, Quand l’anthropologie devient une théologie

Éléments pour un lexique joussien sur la bouche de Marcel Jousse

Pour goûter l’enseignement de Marcel Jousse

Qu’est-ce qu’une anthropologie poétique ? L’exemple de Marcel Jousse

Philippe Beck, Maître de conférences à l’Université de Nantes :

“Un être humain peut tenir deux discours contradictoires sur l’humanité.
Le premier dit : « Jamais il n’y eut d’hommes, et l’anthropologie est future. »
Le second dit : « Tous les hommes sont des hommes, et l’anthropologie a lieu. »
Il entre dans la nature de l’homme de constater tour à tour, voire en même temps l’existence et l’inexistence de l’humanité et, alternativement, de louer la vivacité ou de critiquer la défaillance du discours scientifique sur l’homme quand la définition de l’homme s’est dérobée.
Mais les deux discours se complètent l’un l’autre : ce que l’homme devrait ou pourrait être ne correspond pas ou manque à correspondre à ce que l’homme est communément. Il y a solution de continuité entre le présent et le futur.
La prescription enveloppe cependant une description : ce qu’est l’homme renvoie à ce qu’il pourrait être, et ce qu’il est entre dans ce qu’il pourrait être.
La poésie a tenu, naturellement, les deux discours incompatibles en apparence. Elle a même tenu aux deux discours, s’est déployée en raison de leur contrariété en chacun.”

Conférence donnée le 6 mars 2012 dans le cadre du colloque “Anthropologie et poésie” organisé par l’UMR 8547 Archives Husserl – Transferts culturels. Source : École Normale Supérieure

A la découverte de Marcel Jousse, 5ème partie : Rabbi Iéshoua et les Araméens

Gérard Rouzier reçoit Titus Jacquignon, doctorant en sociologie à l’Université de Montpellier, et Joseph Alichoran, chercheur en histoire de la chrétienté Mésopotamienne et chargé de cours de néo-araméen oriental à l’INALCO.

Une émission diffusée initialement le 11/05/2013 sur radio Fréquence Protestante (en vente sur CD). Sa durée est d’environ 55 minutes.

Le plan de l’émission :

– Quelle part de l’œuvre de Jousse est-elle consacrée à Jésus ?

– La recherche de Jésus dans son milieu en Galilée est au cœur de la vie de Jousse.

– Les défis découlant de la méthode historico-critique dans l’étude des textes d’Évangile.

– La référence de la littérature grecque et latine face à la tradition de Style oral.

– Pause musicale : La liturgie de la 3ème anaphore pour le Jeudi Saint (église assyro-chaldéenne).

– La perspective de Jousse sur la tradition dans laquelle s’inscrit Jésus. C’est un Rabbi, un professeur qui a une pédagogie spécifique à son milieu. Le transport de cette tradition vers le milieu grec.

– Les Targoûms araméens, tradition populaire dérivant de l’hébreu, devenu une langue religieuse.

– Pause musicale : Chant liturgique. Face à une épidémie de peste, jeûne des Ninivites au 6ème siècle.

– La rencontre des communautés issues des églises orientales migrant en France.

– J. Alichoran, originaire du nord de l’Irak, où on parle un dialecte araméen, le « soureth ».

– Pause musicale : version traduite en néo-araméen d’un chant de Noël.

– La conservation des traditions dans la diaspora des églises orientales à partir du génocide de 1915 (ayant touché les chrétiens de Turquie orientale de toutes confessions, pas seulement Arméniens).

– Le néo-araméen est une langue vivante. La langue classique (syriaque) est maintenue dans les liturgies et dans la littérature. Peu de membres de ces communautés connaissent cette langue ancienne.

– Pause musicale : chant néo-araméen en l’honneur du patriarche de l’église assyro-chaldéenne.

– Pour apprendre le syriaque à l’Institut Catholique, au Collège de France ; pour apprendre le néo-araméen à l’INALCO.

A la découverte de Marcel Jousse, 2ème partie : les lois anthropologiques

Gérard Rouzier reçoit Titus Jacquignon, doctorant en sociologie à l’Université de Montpellier.

Une émission diffusée initialement le 23/03/2013 sur radio Fréquence Protestante (en vente sur CD). Sa durée est d’environ 55 minutes.

Le plan de l’émission :

– Jousse a découvert des lois anthropologiques. 5 sont ici présentées.

– Le globalisme : l’unité de l’être humain et la pensée holistique.

– Le mimisme (mimesis chez Aristote), fondation du langage humain ; la différence avec le mimétisme.

– Le bilatéralisme : influence de la forme du corps humain sur la mémoire et l’expression.

– Jousse face à la crise du modernisme dans l’exégèse biblique : commencer par l’anthropologie avant de faire de la théologie.

– Pause musicale : « l’alouette », musique traditionnelle roumaine.

– Le lien à la nature dans les cultures traditionnelles d’Europe centrale et orientale.

– Le rythmisme : dans le rythme physiologique du corps, et le rythme des langues.

– Le formulisme : utilisé par les troubadours, les aèdes grecs, les griots africains, mais aussi dans la Bible, pour faciliter la mémoire.

– Peut-on comprendre Rabbi Iéshoua (Jésus) sans connaître son milieu traditionnel araméen ?

– Extrait audio : « On me dit que j’ai mauvaise mine. » Sketch de Robert Lamoureux avec un poème sur la fatigue.

– L’homme est un animal paresseux : à propos de l’évolution des modes d’expression dans l’humanité, par le corps entier, les mains, la bouche…

– Récapitulatif du parcours dans les bases de l’anthropologie.

– Jousse ouvre des voies de recherche très actuelle : par exemple en sciences cognitives avec des moyens d’observation nouveaux de l’activité du cerveau. Il ne s’agit pas de suivre Jousse mais de vérifier ce qu’il avance.

– Une invitation à reprendre le travail sur Jésus et les cultures chrétiennes orientales pour rouvrir l’accès au fond culturel araméen des Targoûms.

– Jousse apporte une méthodologie que chacun peut s’approprier.

A la découverte de Marcel Jousse, 3ème partie : sa méthodologie

Gérard Rouzier reçoit Titus Jacquignon, doctorant en sociologie à l’Université de Montpellier.

  Une émission diffusée initialement le 13/04/2013 sur radio Fréquence Protestante (en vente sur CD). Sa durée est d’environ 55 minutes.

Le plan de l’émission :

– Une anthropologie compréhensive ; connaître, c’est aimer. La sympathie intellectuelle avec autrui, avec d’autres peuples, au delà des préjugés raciaux. La sociologie compréhensive.

– Un précurseur de l’interdisciplinarité voire de la transdisciplinarité.

– L’influence de sa carrière militaire (l’artillerie et les mathématiques, la liaison des armes sur le champ de bataille ou dans la science).

– Le laboratoire ethnique dans le contexte de la France coloniale : apprendre de ces peuples

– L’observation attentive de l’enfant dans sa spontanéité.

– Le cinéma comme outil scientifique pour enregistrer les gestes vivants.

– Pause musicale : bande originale du film de Charlie Chaplin « Les temps modernes ».

– L’observation des troubles pathologiques du geste, du langage (aphasies et apraxies).

– Marthe et Marie Heurtin, sourdes-muettes et aveugles de naissance : un cas clinique montrant la naissance du signe et de l’intercommunication.

– Quelle frontière entre l’Homme et les autres primates ?

– L’observation de son milieu social, pour la connaissance de soi en tant qu’individu appartenant à une société, pour mieux comprendre les autres cultures, au delà de l’ethnocentrisme.

– Pause musicale : bande originale du film de Jacques Tati « Mon oncle ».

– Le regard critique de Jousse sur la société bourgeoise urbaine de son temps.

– La mémorisation globale des récitatifs d’Évangile (gestes significatifs, balancements, mélodie…).

– La terminologie de Jousse, ses motivations.

– Comment comprendre l’être humain en tant que complexus de gestes ?

– Bande originale d’un film de Pierre Étaix.

– Pirouette : Gérard Rouzier, comédien et formateur théâtral, est interrogé sur sa rencontre avec l’œuvre de Marcel Jousse. Son travail de rejeu d’un cours de Marcel Jousse. L’apport potentiel de l’anthropologie de Jousse dans le milieu artistique actuel.

A la découverte de Marcel Jousse, 4ème partie : la préhistoire

Gérard Rouzier reçoit Titus Jacquignon, doctorant en sociologie à l’Université de Montpellier.

Une émission diffusée initialement le 27/04/2013 sur radio Fréquence Protestante (en vente sur CD). Sa durée est d’environ 55 minutes.

Le plan de l’émission :

– Au 19ème siècle, le contexte de la préhistoire émergente avec les découvertes de traces archéologiques de peuples sans écriture codifiée.

– La découverte de la grotte de Lascaux en 1940 est une révélation pour Jousse.

– La diversité des civilisations dans l’espace et dans le temps.

– L’analyse des peintures rupestres comme expression de la science des hommes de cette époque.

– Pause musicale : chant interprété par Iégor Reznikoff.

– Le rapprochement entre les grottes ornées et le cinéma ; les « ombres chinoises » à l’origine de l’écriture ; l’empreinte de main projetée en négatif.

– Les mimodrames projetés sur les parois : mimographisme, mimoplastisme. une bande dessinée ?

– Pause musicale : Magnificat interprété par Iégor Reznikoff à l’abbaye de Fontenay.

– Le jeu de l’enfant par le mimisme le conduit spontanément au dessin.

– La capacité de résonance des édifices religieux et des grottes ornées étudiée par Iégor Reznikoff (ethnomusicologue) : la circulation du son dans les grottes était connue et utilisée. Quel usage rituel ? L’école de formation spirituelle de ces sociétés.

– Pause musicale : suite du chant de Iégor Reznikoff.

– Le chant grégorien à partir des gammes antiques, différentes de la musique moderne.

– Le lien entre ces grottes et les temples antiques, églises romanes, au niveau de l’architecture acoustique et du symbolisme.

– Quelle utilisation de ces études ? La prise de conscience du génie de ces hommes, au delà du préjugé des « primitifs » ; la vérification de la pertinence méthodologique de Jousse.

A la découverte de Marcel Jousse, 1ère partie : L’enfant et la pédagogie

Gérard Rouzier reçoit Titus Jacquignon, doctorant en sociologie à l’Université de Montpellier.

Une émission diffusée initialement le 9/03/2013 sur radio Fréquence Protestante (CD en vente). Sa durée est d’environ 55 minutes.

Le plan de l’émission :

– Brève présentation de Titus Jacquignon, doctorant en sociologie à l’Université de Montpellier.

– Qui est Marcel Jousse ?

– Il a bien connu Teilhard de Chardin. Quels sont leurs parcours respectifs et les raisons de leur différence de notoriété ?

– Quel est l’apport de la pensée de Jousse pour nous aujourd’hui ?

– Introduction à 2 thèmes importants chez Jousse :

  • la psychologie de l’enfant (école d’anthropologie le 3/03/1936);

  • la pédagogie de Jésus

– Pause musicale : chant traditionnel russe (Boris Christophe).

– Lecture du premier extrait de cours, au sujet du bavardage

– Commentaire de cet extrait en lien avec l’enfance de Jousse.

– Marcel Jousse dans le contexte des recherches pédagogiques après 1918 (Montessori, Steiner…)

– Le lien entre la pensée de Jousse et le chant des bateliers de la Volga ; la création des récitatifs d’Évangile par Jousse et G. Desgrées du Loû.

– Suite de l’extrait de cours : protégez la spontanéité de l’enfant

– Explications sur le mimisme chez l’enfant et ses conséquences pédagogiques.

– Retour actuel à l’intelligence du corps ; la redécouverte de Jousse dans les milieux artistiques et universitaires, à la faveur de démarches interdisciplinaires.

– Textes de référence pour en savoir plus.

Extraits de cours de Marcel Jousse

Pour les besoins de l’émission de radio, Titus Jacquignon a sélectionné et parfois composé un enchaînement différent à partir des extraits du cours. N’ayant pas dans ce document écrit la contrainte de durée, nous restituons ici des extraits plus complets que ceux lus, en notifiant les coupures que nous faisons. La numérisation de la transcription originale du cours est accessible sur les CD-ROM édités par l’association Marcel Jousse.

Premier extrait du cours à l’école d’anthropologie le 3/03/1936, « Le Style oral de l’enfant » :

Introduction : Jeu corporel et jeu oral

Il y a dix minutes si, au lieu de monter ici, j’étais allé dans un Jardin d’enfants, j’aurais, pendant la récréation trouvé tous ces petits Mimeurs dans toutes les positions normales, c’est-à-dire, à quatre pattes mimant le chat grimpant, c’est-à-dire mimant l’écureuil, étendant les bras, c’est-à-dire mimant le corbeau ou l’aigle qui leur a été ce matin, décrit au jardin d’enfants…

J’ai eu un autre plaisir : celui de monter ce vénérable escalier branlant que vous connaissez bien et pour lequel je remercie tout l’héroïsme des auditeurs. En traversant le vestibule, j’ai eu comme vous, un tout autre aspect que celui que j’aurais eu au Jardin d’enfants. Nous avons là des crânes d’une sagesse multimillénaire pour certains. Quand je suis entré ici, je me suis dit : je vais trouver tout autre chose évidemment que ce que j’ai vu là sous les vitrines, mais je vais trouver aussi tout autre chose que ce que j’aurais vu au Jardin d’enfants. Je vais avoir des anthropoï à la civilisation la plus parfaite qui se puisse rêver puisque c’est la nôtre, et donc sages comme des images.

Cette sagesse que je m’attendais à trouver au fond de mon rêve, le test objectif ne me l’a pas révélé. Et j’ai eu la grande surprise, qui n’est pas accoutumée, de constater qu’ici on n’était pas plus sage qu’au jardin d’enfants. M. Chesneau va me dire tout de suite :

Mais pardon, M. le Professeur je n’étais pas à quatre pattes en train de faire mon petit chien et pour lequel l’autre jour, j’ai plaidé en faveur de l’intelligence des chiens…Vous vous rappelez que je vous ai dit que si mon petit chien était là, il protesterait contre vous ! Eh bien, aujourd’hui constatez tout de même que si je plaide pour mon petit chien, je ne plaide pas en faisant le geste caractéristique de mon chien.”

De même que telle de mes auditrices qui a un chat qu’elle aime beaucoup, n’a pas fait le chat perché sur le coin de l’estrade…

Donc, vous me dites que vous êtes sages ! Permettez-moi de vous dire que je n’en suis pas convaincu du tout. C’est qu’en effet, vous êtes plus diplomates que les petits enfants du Jardin d’enfants, mais vous êtes exactement pareils, seulement vous avez la manière ! Au lieu de jouer avec tout le corps, tout votre corps, vous avez laissé le grand jeu global et vous l’avez transporté, sur votre petit mécanisme laryngo-buccal. Et vous jouez là des choses encore bien plus mouvementées

que celles que j’aurais pu voir chez les petits enfants de trois quatre ou cinq ans.

Seulement, vous avez donné le primat à un phénomène social très important.Vous avez réduit votre jeu. Vous êtes des joueurs tout autant que les enfants, mais des joueurs de mécanismes

oraux. Et encore une fois, laissez-moi vous le dire, sur ce point-là ,vous n’êtes pas plus sages que les enfants. Il n’est guère possible à un être humain d’être à coté d’un autre – et surtout à côté de plusieurs autres – sans subir le besoin de professer.

C’est qu’en effet, l’anthropos est non seulement un animal mimeur, mais il est aussi – et j’en sais quelque chose et vous aussi qui en êtes les victimes – un animal professeur.

Dès qu’ il peut avoir en face de lui un autre être humain, l’anthropos se fait tout de suite professeur. Et si j’étais malicieux – ce que je suis pas – et si j’avais voulu avoir un test expérimental – ce en quoi je ne crois guère – je serais venu m’installer tout à côté de M. Rémy Lussol pendant le quart d’heure qui a précédé ma leçon et j’aurais écouté.

On m’aurait fait à l’avance, des petits cours soit d’anthropologie, soit de diplomatie, soit de pédagogie, soit de tout autre sujet beaucoup plus intéressant que l’anthropologie, puisque ce sont les vôtres… Et vous m’auriez montré, véritablement montré, par la vigueur de votre vocabulaire que vous aviez été à la montagne, que vous aviez fait des parties de chasse extraordinaires et même à un moment donné votre langage n’étant pas suffisant, votre main, cette terrible main, serait venue jouer le geste de l’enfant.

Le petit enfant a subi, comme nous tout jeunes, cette étrange transformation, cette étrange transposition du mécanisme gestuel global dans le mécanisme oral. Très vite, il n’a plus eu la possibilité de jouer, de jouer à quatre pattes, ni même de jouer à deux pattes. Il ne peut plus. Vous croyez qu’il va se considérer pour longtemps satisfait ? Pas du tout. Être mimeur par excellence, il va faire comme nous. Ne pouvant plus, à tout instant, jouer à tout, il va tout le temps parler de tout. Il va être ce que nous appelons un bavard.

L’enfant est un bavard, disons-nous. Encore une fois, je ne vais pas être de votre avis. Et je vais essayer de défendre l’enfant en trois points, comme pour les choses graves, car je crois que c’est très grave en effet.

Je voudrais vous montrer :

I. ce qu’est le langage parlé chez l’enfant

II. ce qu’est devenu ce langage parlé dans les milieux ethniques

III. ce que pourrait devenir ce langage parlé parmi nous si nous en connaissions bien le mécanisme.

I. Ce qu’est le langage parlé chez l’enfant

Le langage de l’enfant, nous n’y faisons pas attention, puisque nous sommes des êtres qui nous suffisons. Nous avons lu beaucoup de livres, nous avons compulsé tous les dictionnaires possibles, donc nous n’avons rien à apprendre de l’enfant.

Aussi, quand l’enfant est sous notre gouverne, nous ne faisons qu’un seul geste : c’est de le faire taire. Si vous êtes invité à une table quelconque – cela m’arrive quelquefois heureusement – je m’aperçois qu’il y a autour de moi deux sortes d’anthropoï : il y a les anthropoï petits, et puis il y a les anthropoï grands. Je vous avoue que j’aimerais surtout parler avec les anthropoï petits. C’est une étrange manie peut-être. Mais pour moi, l’anthropos petit à ce grand avantage : c’est qu’il a quelque chose de spontané. C’est la vie. L’anthropos grand, il y a tant d’années que nous l’avons rencontré dans tous les journaux, revues, dictionnaires, réunions, congrès, tout ce que vous voudrez, qu’il en est devenu banal.

Eh bien, quelque soit l’intérêt que je puisse avoir pour l’anthropos petit, cet anthropos petit est immédiatement réduit au silence. Avant le repas, je suis arrivé un quart d’heure, dix minutes à l’avance, suivant les règles de la politesse puérile et respectable, j’ai commencé à parler avec l’enfant qui est tout de suite venu à moi de confiance quand il a vu que je m’intéressais à lui. Quand il a vu tout le cérémonial de la table, il n’a pas jugé que ma tête avait beaucoup changé du fait que j’étais assis au lieu d’être debout ou accroupi à côté de lui, il a donc repris pour moi son petit mécanisme de récitations en style parlé. Il me disait qu’il avait des soldats, que son canon partait à 3m 50 enfin, des quantités de choses passionnantes.

A peine le commencement de la portée du canon allait être donnée, que le papa ou la maman ou la tante, ont immédiatement contraint le petit anthropos à se taire. A partir de-ce moment-là, j’ai eu la conversation sociale que je connais depuis un certain nombre d’années (et vous aussi).

Ce petit anthropos qui a tant de choses « à lui » à dire, se tait. Et pendant une heure, quelquefois deux heures, il doit subir cette étrange chose qu’il ne comprend pas – pas plus que les autres d’ailleurs – qu’on appelle une conversation de grands anthropoï (grands, dans tous les sens du mot, si vous voulez).

Il est évident que ce petit anthropos “bout” d’être réduit au silence. Si nous étions à sa place, nous en ferions autant et peut-être même que nous quitterions la table. Lui, la garde, parce qu’il y a du dessert à la fin, c’est peut-être pour cela que nous restons aussi. A ce moment-là, le repas étant terminé, on envoie le petit enfant promener parce qu’on prend des liqueurs. Qu’est-ce qui va se passer ?

1- Bavardage explosif de l’enfant

A ce moment, le malheureux petit gamin (ou la petite gamine, sur ce point là, ils sont égaux) va trouver la gouvernante ou la cuisinière, ou n’importe qui, et se produit alors le phénomène normal que j’appelle : le bavardage explosif.

C’est qu’en effet, cet enfant qui est toute action parce que toute énergie, parce que toute vie grandissante, a une somme énorme d’activité à dépenser. Or, vous n’avez pas voulu le laisser dans un sujet qui l’intéressait et en face d’un homme qu’il intéressait – qui était moi dans l’espèce. A ce moment-là, il était tout à fait sage. Ses raisonnements étaient merveilleux, ses métaphores me serviront mercredi prochain au laboratoire pour montrer ce qu’est le petit anthropos spontané, véritable créateur de métaphores et de termes exactement collés.

On ne l’a pas laissé faire son véritable langage ? Il va faire ce que nous faisons lorsque nous avons été énervés par un cours qui ne nous intéressait pas (ce qui est quelquefois l’aventure). Alors, dans une sorte de détente nerveuse, de décrispation, c’est une verbigération de toutes sortes de choses.

Vous avez cela dans le petit anthropos, le petit enfant. Il ne peut pas subjuguer héroïquement tous ses mécanismes qui déflagrent malgré lui, hors de lui. Il ne le peut pas. Même pour nous, cette inhibition est presque impossible. Comment-voulez-vous que l’enfant puisse l’avoir ?

Alors, il va sortir n’importe quoi et n’importe comment pourvu que cela explose ! Et c’est à ce moment-là qu’on nous montre les enfants. On nous dit : “J’ai un enfant impossible. Tenez, regardez-le, j’ai été obligé de le corriger. Je suis très bon pour lui, mais je veux qu’à table, il se tienne bien, surtout quand on a des invités. “

Le petit enfant va donc être montré à son moment le plus détestable, lorsqu’il est exacerbé, c’est-à-dire après avoir subi la torture d’une conversation de grandes personnes. Mais à ce moment-là , l’enfant n’est plus lui-même ! C’est l’enfant terrible, le “bavard”, celui qu’on nous montre lorsque le maître s’absente pendant deux minutes, et qu’il retrouve sa classe, pérorant, criant, bavardant à qui mieux mieux. Ne croyez-vous pas que si votre classe était intéressante, l’enfant attendrait votre retour tranquillement. Mais vous êtes tellement ennuyeux, qu’alors il y a explosion !

Vous aurez cela toujours, même quelquefois pendant les cours des professeurs. Et c’est pour cela que c’est extrêmement difficile d’être professeur ! Si l’intérêt se détend ,vous voyez immédiatement les professeurs individuels qui vont s’aboucher deux à deux et trois par trois. C’est cela qui est redoutable quand on voit que la dame d’en face avec la demoiselle du coin se fait plus intéressante que le professeur !

C’est précisément ce besoin formidable de détente qui se joue dans ce que nous avons chez nous la permission de jouer : le langage laryngo-buccal. C’est extrêmement important. Tout ce qu’on nous dit des enfants repose sur cette incompréhension fondamentale : L’enfant n’est pas “bavard” ! Mais c’est un curieux formidable qui sait regarder ce qui l’intéresse, et qui sait parler de ce qui l’a intéressé. Je vous avoue que le grand enfant qui vous parle en est encore là. »

iiExtraits du même cours, pages suivantes, sur le jeu et la spontanéité :

« Nous avons vu l’importance de cette grande question fondamentale du développement de l’enfant par le Jeu. Le Jeu, c’est la préhension des gestes de l’Univers, et l’aboutissant de ce jeu, c’est le laboratoire d’un de Broglie [physicien français]. L’enfant, le petit anthropos de Broglie qui cassait tout, retourne après des années, tout casser dans le monde des atomes. C’est la même chose. Seulement, quand il était petit, on ne le laissait pas faire. Quand il est grand, il fait ce qu’il veut, et on le déclare un homme de génie… Je crois que lui en est tout aussi ignorant qu’avant, parce que tous les vrais savants, ce sont de grands humbles.

Cet homme qui nous donne de si formidables leçons, n’est arrivé que parce qu’il est resté enfant et qu’il a regardé les mécanismes se monter et se démonter devant lui.

Voilà ce que nous réclamons pour l’enfant. Laisser les mécanismes du Réel se monter en lui par tous ses mimèmes : [gestes] manuels, laryngo-buccaux, oculaires, auriculaires. [lecture d’un extrait de la partie III] Que tout puisse jouer. Et alors tout va jouer dans des mimodrames différents. Mais ne parlez pas d’éléments moteurs dans un cas et d’éléments sensoriels dans l’autre. Tout est moteur. Il n’y a que des gestes dans l’anthropos, qu’ils soient petits ou qu’ils soient grands, qu’ils soient conscients ou qu’ils soient inconscients.

Malheureusement, nous n’avons, dans notre milieu social, pour faire l’intercommunication, donc pour manifester aux autres anthropoï ce qui se joue en nous, qu’un seul mécanisme : le langage parlé.

Ce langage parlé a donc la possibilité d’être tout ou de n’être rien. Rien si ce n’est, pour l’enfant, qu’une explosion nerveuse, une détente de son organisme. Il revient effectivement à l’état du petit anthropoïde qui, poussé par une musculature déflagrante, tressaute dans sa cage, comme vous pouvez aller le constater. Et vous dites alors : “Mon petit enfant est malin comme un singe “… Bien sûr ! mais c’est vous qui l’avez fait redevenir anthropoïde. Lui ne demandait qu’une chose : c’était d’avoir du Réel qui l’intéresse et d’avoir quelqu’un à qui exposer son Réel. Comprenez donc que les Professeurs en sont encore là ! Que rêvons-nous donc ? C’est d’avoir en face de nous des auditoires pareils à celui que j’ai en face de moi. Nous n’aimons pas parler devant des bancs vides. Nous ne sommes pas faits pour cela.

Or, le petit enfant n’a pas ce que nous avons. Qui donc écoute l’enfant ? Qui donc va le monter petit à petit par le dedans ? par lui-même ? Oh, nous ferons de beaux livres : “La narration chez l’enfant”, “Le Style chez l’enfant”. Mais qu’est-ce que c’est le Style chez l’enfant pour vous ? C’est celui que vous voudriez introduire chez l’enfant. Je n’en veux pas de votre style ! Laissez donc l’enfant se développer par spontanéité, orientez-le seulement, c’est autre chose !

Quand le petit enfant a cette possibilité, il n’est plus bavard. Il expose et explose, vous n’avez que la différence d’une lettre dans l’articulation et dans la graphie. Mais dans la réalité, c’est un monde !

Où allez-vous saisir l’enfant qui n’est pas un bavard, mais qui suit les contours du Réel ? Je dirais avec Mme de Luppé : dans le laboratoire du chercheur. C’est là qu’il faut suivre le savant. Le savant est véritablement lui-même quand il est en face de son Réel à lui, qui l’intéresse.

Le Réel de l’enfant, vous l’avez seulement dans son Jeu, ce jeu qu’on nous propose de canaliser sous forme de Jeu dramatique pour arriver, dit M. Chancerelle, à rénover l’Art dramatique en France ! Nous avons bien autre chose à faire qu’à faire servir l’enfant à rénover l’Art dramatique en France ! Rénovons d’abord la Vie dans l’intelligence et nous verrons après. C’est là la grande question. Nous nous amusons à nous amuser ! L’enfant joue à exprimer son Réel. Quelle différence entre cet essai de Jeu dramatique de Léon Chancerelle et ce que nous faisons, nous actuellement à notre Laboratoire de rythmo-pédagogie.

On ne sait pas où l’on va, ne sachant pas d’où l’on part. On n’a rien compris… rien. On n’a aucune base anthropologique. Alors, on va s’amuser ! On va faire des Jeux dramatiques alors qu’il faudrait faire des Jeux scientifiques, c’est-à-dire mimo-pédagogiques partant d’un Réel intussusceptionné.

La grande loi elle est là : c’est le Mimisme. Alors orientez ce Jeu mimo-pédagogique vers une élaboration de la Pensée. Il n’a pas d’autre but que cela .

A des enfants qui meurent de faim, au lieu de ce pain qu’ils réclament, vous donnez des gaufrettes ou des biscuits Lulu. Il s’agit bien de cela ! Faisons bien attention ! Il ne s’agit pas de faire jouer les enfants pour renouveler votre Art dramatique. Il faut laisser jouer les enfants pour avoir demain une Science objective. Laissez se préparer les découvreurs de demain. Si nous voulons avoir d’autres de Broglie, et il y en a, peut-être pas par milliers, mais par dizaines parmi les enfants qui sont autour de nous. De grâce, ne les tuez pas en les réduisant au silence dans vos repas des grands anthropoï… Protégez leur spontanéité. »

(…)

2 – La verbalisation accompagnatrice

« L’enfant joue, mais il n’a pas “avec qui causer”, direz-vous. Je n’aime pas votre mot. Il ne cause pas. Il s’instruit. Il se fait son petit professeur lui, l’animal professoral.

Regardez-le en face de la grenouille. Le dialogue, si j’ose dire, s’échange entre la grenouille muette et l’enfant mimeur et pas tout à fait muet… Ces phrases m’en disent beaucoup plus que vos essais de petits jeux dramatiques !

C’est qu’en effet, l’enfant est l’Inconnu. Nous ne savons pas comment l’enfant voit les choses, ce qui l’intéresse dans les choses, ce qui justement, va guider ses recherches de demain. Il verbalise précisément, les gestes qui l’intéressent et il les verbalise d’une façon stupéfiante d’acuité, de netteté , de précision. » (…)

« Remarquez bien que sous mon apparence de critique aigu, je suis la bienveillance et la bienfaisance même pour l’enfant en face du Réel. Toujours mon leit-motiv va être ceci : “Laisser l’enfant en face des choses.” La grande pédagogie de l’enfant doit se faire en face des choses.

Qu’est-ce qui m’a amené ici devant vous ? Vous croyez que ce sont mes maîtres ? Si je suis ici devant vous, c’est que j’ai regardé depuis mon enfance, les enfants jouer. C’est le Jeu de l’enfant qui m’amène ici. Et c’est avec cela que la Psychiâtrie est renovée, que la Psychologie s’oriente vers

des voies nouvelles, que l’orientation vient s’ajuster à nos méthodes, et la Pédagogie devra venir aussi s’y ajuster. Voilà à quoi aboutit une méthode anthropologique…

3 – La composition stylisée

Cette Verbalisation accompagnatrice de gestes correspond à ce que vous appelez : la Rédaction (chose qu’il ne faudra faire intervenir que beaucoup plus tard, nous le verrons ) et que moi j’appelle la Narration orale stylisée, la Composition stylisée. L’enfant n’a jamais la permission de s’exprimer, je dirais même “de se faire valoir “. (…) [passage sur le jugement social envers l’orgueil de l’enfant].

Il faudrait que l’enfant ait la possibilité d’apparaître devant vous et devant d’autres personnes sympathiques pour raconter ce qu’il a vu, ce qu’il a fait. Il a déjà ses expériences à lui, à sa mesure d’enfant.

Cette narration orale quand elle est faite par un enfant qui n’a pas été déformé, elle est parfaite. Elle emprunte ce mécanisme que nous allons étudier, ces gestes propositionnels simples très courts

ces balancements spontanés qui correspondent à ses Jeux balancés, et ces sortes d’ensembles globaux qui correspondent à son Jeu global. C’est tout ce que nous cherchons dans une leçon. Qu’est-ce donc qu’une leçon d’un maître ? Le grand Jeu d’un Professeur qui n’a pas oublié d’être enfant. Et c’est pour cela que vous m’écoutez et que vous quittez vos travaux pour venir chercher, non pas ce que j’ai imaginé devant les livres, mais ce que j’ai été chercher tout vivant dans l’enfant.

II – Ce qu’est devenu le langage parlé dans les milieux ethniques

Il serait intéressant, pour nous guider, nous aider, d’aller (…) voir, dans les milieux ethniques, ce qu’on a fait de cette grande force de l’enfant qui est, chez nous, immédiatement paralysée.

Nous ne laissons pas à l’enfant la possibilité de faire son petit cours, de raconter ses découvertes de les styliser, de les balancer, de les composer : “Prends une plume et fais-nous une rédaction sur un tel sujet.”

D’autres civilisations, heureusement, n’ont pas été contraintes et astreintes dès l’enfance à cet esclavage de la plume, dans tous les sens du mot. Là, règne le Style oral appuyé, soutenu par une expression corporelle traditionnelle que nous avons, nous anthropologistes, à étudier. (…) »

« III. Ce que peut redevenir ce langage parmi nous

En face de tous ces bricolages qu’on appelle “les néo-pédagogies”, nous allons avoir simplement à prendre l’enfant dans cette caractéristique que vous avez vue tout à l’heure : ces Gestes propositionnels très courts.

1 – Propositions courtes et balancées

“Et il monta de là vers Bethel.”

C’est tout, mais donné avec ces balancements :

“et il était montant sur le chemin”

Voilà ce que l’enfant vous fait, malgré vous, quand il récite son Racine :

“Oui , je viens dans son temple adorer l’éternel

Je viens selon l’usage antique et solennel…”

Et cela continue… Il a la chance d’avoir un Racine qui est resté fidèle à la grande loi anthropologique donnée par Boileau et tellement attaquée maintenant comme trop monotone :

“Que toujours, dans vos vers, le sens coupant les mots,

Suspende l’hémistiche, en marque le repos.”

Et quand Victor Hugo a dit :

“J’ai disloqué – ce grand niais – d’alexandrin.”

il est tombé dans le mécanisme à trois phases que le pauvre Hugo ne soupçonnait pas :

“Il était grand. Il était pur. Il était beau.”

Comme quoi “Difficile est naturam exuare“. Chassez le naturel, il revient au galop ; même dans Victor Hugo…

C’est cela que tous les faiseurs de catéchismes et de manuels devraient connaître. Avoir en face de soi des enfants et leur faire réciter le style macaroni de vos catéchismes alors que vous avez à votre disposition ces formidables choses !

On a des livres qui veulent gloser ce style ! “L’Évangile pour les enfants“. Laissez donc les enfants dans ce style de l’Évangile qui est le leur et ne les empêchez pas de l’apprendre avec vos délayages.

2- Épisodes successifs

En plus de ces propositions simples et balancées des grands gestes humains, nous aurons cette verbalisation par épisodes que nous avons appelées : Récitatifs.

L’enfant vous fait cela spontanément. Quand il peut être lui, il vous développe les faits : “Cela a commencé comme ceci “… “Cela a continué comme cela et a fini comme cela.”

Vous dites qu’un enfant dit tout à la fois… Pardon. C’est que vous ne l’écoutez pas… Mais laissez-le parler, donnez-lui son temps. C’est comme si vous me disiez : ” Vous n’avez que cinq minutes, développez votre sujet “… Ce serait maigre ! Or, l’enfant dit tout en même temps parce qu’il n’a pas, devant lui, une carafe et un verre d’eau et une heure !

3- Le Langage parlé en ensembles harmonieux

Avec ce grand mécanisme simple du Geste propositionnel, ce mécanisme balancé par binaires ou ternaires, ce mécanisme successivé par scènes, nous allons avoir la grande tragédie qu’est la Composition.

L’enfant, sur ce point -là, n’a aucune espèce de leçon à recevoir de nous. Il sait très bien comment raconter une chose qui l’intéresse. C’est pour cela que maintenant, les grands écrivains vont écouter les enfants. Nous avons besoin de fraîcheur et de pureté. La simplicité enfantine, c’est le Réel parlé en fonction des choses.

Le vrai professeur, c’est celui qui a l’audace de ne pas faire de phrases, d’apporter seulement du réel avec toute sa grande musculature arquée sur les choses.

Et si je voulais actuellement en une sorte de synthèse boucler ma leçon, je reprendrais la grande phrase palestinienne en la changeant un peu :

“C’est de la bouche des enfants que viendra le Style parfait”.  »

[Fin du cours]

Qu’est-ce qu’une loi scientifique ?

Quelle va être la loi ? Voyez-vous ce mot ? Quelle va être la loi qui va, comme un fil mystérieux, relier toutes les perles éparses ?

(…)

C’est précisément cela que cherche le futur Professeur. La LOI. Qu’est-ce que peut faire un éparpillement d’observations médicales ? Vous pouvez m’apporter deux cents, trois cents observations, comme vous nous en montrez habituellement dans vos thèses de doctorat de médecine. Mais ceci, ce sont des perles. Ceci c’est l’éparpillement. Ce que je cherche, c’est précisément toujours le grand lien qui va donner les solutions.

On peut très bien découvrir les lois sans être spécialisé dans chacune perles détachées.

(Cours à la Sorbonne le 05/12/1935)

Article de presse sur l’inauguration de la chaire à l’École d’Anthropologie

M. Marcel Jousse, dont les travaux sur l’origine et le mécanisme du langage humain ont créé une science nouvelle, inaugurait le lundi 6 octobre la chaire qu’il a fondée à l’École d’Anthropologie de Paris et à laquelle il a donné le nom d’Emmanuel Desgrées du Loû.

Au début de ce premier cours, M. Marcel Jousse a exposé au nombreux public qui suit avec passion ses travaux pour quelles raisons du cœur il a voulu consacrer sa nouvelle chaire à la mémoire de l’ancien directeur de L’Ouest-Éclair.

“L’École d’Anthropologie veut ressembler à ces vieux châteaux de Bretagne qui résistent aux siècles parce qu’ils ont été construits pierre à pierre, avec foi, avec amour, par des chevaliers vaillants et tenaces. Nos maîtres ont été aussi des chevaliers de la science qui dévouèrent leur vie à leur œuvre et à leur idéal désintéressé. Ils ont édifié ce château de science expérimentale, que j’espère, avec votre concours, avec celui de tous mes collaborateurs, élever et agrandir encore pour y entasser et y garder un trésor de vérités neuves. Mais à tout château il faut sur sa porte un blason. Enfant du peuple, qui doit tout à son travail, je n’ai pas de blason. Qu’il me soit permis, par un hommage du cœur, d’emprunter celui d’une noble famille bretonne, qui associa mon humble effort à sa grande et pure tradition. Emmanuel Desgrées du Loû a servi son pays par la plume, comme son frère le colonel Xavier Desgrées du Loû par l’épée. Tous deux sont morts debout à leur poste de combat, et tenant haut leur drapeau. Que leur nom soit ici le symbole de notre pieux respect envers toutes les gloires du passé, et de notre volonté de créer une science de vie. A leur exemple, je servirai ici une vérité à laquelle j’ai donné ma vie, toute ma vie, et à laquelle je consacrerai tout ce qu’il y a en moi de force et de volonté.”

Après avoir rendu cet hommage ému à la mémoire de notre ami, M. Marcel Jousse a exposé l’essentiel de ses découvertes et de sa méthode de recherche. La nouveauté de ses vues, la fulgurante éloquence qu’il apporte à les exposer et à en montrer l’immense portée ont soulevé l’enthousiasme de son auditoire.

J.C.

journal Ouest Éclair du 10 novembre 1933

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